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Progression de l'isolement et expérience paradoxale de la solitude professionnelle des cadres dirigeants : l'exemple des directeurs de services pénitentiaires en maisons d'arrêt.
Directeur : Lhuilier, Dominique
Les effets délétères de la montée de l'isolement au travail et des pathologies associées de la solitude sont aujourd'hui couramment admis. Cette étude a pour objectif d'éclairer la nature des liens entre l'isolement et son vécu au travail, la solitude professionnelle. À cette fin, nous nous intéressons à la catégorie des cadres dirigeants, et plus particulièrement à la population des directeurs de maisons d'arrêt. Notre approche est issue de la psychosociologie clinique du travail. Nous nous appuyons sur l'observation de situations de travail, l'analyse du contenu d'entretiens semi-directifs conduits auprès de 13 directeurs, et les matériaux obtenus lors de la mise en œuvre de la méthode réflexive d'instruction au sosie auprès de 3 d'entre eux. Les résultats montrent effectivement une fabrication de l'isolement lié à l'exercice du pouvoir, ainsi qu'un morcellement des collectifs professionnels induit par l'intensification du travail. La modernisation prescrite à marche forcée de la prison amplifie ce phénomène, laissant les directeurs de prisons affronter seuls la transformation accélérée de leurs missions, à l'abri des murs. Les dirigeants de maisons d'arrêt parviennent à riposter aux processus de rigidification et de délitement du lien social au travail. Ils répliquent de différentes façons à cet isolement progressif subi. Nous distinguons trois natures et expériences différentes d'une même solitude professionnelle, dépendant de la façon dont le sujet se saisit des ressources externes ou internes, matérielles, sociales et psychiques :- Une solitude résistante : nous identifions des tentatives de transformation de la réalité (reconstruction du lien social, développement de nouvelles formes de co-activité, recherche de soutien social), la mise en place de stratégies de défense, individuelles ou collectives, parfois sous des formes radicalisées comme l'esprit de corps, des mécanismes de dégagement qui font appel au jugement pour une juste adaptation à la réalité et qui aident à l'élaboration de la solitude. Nous parlerons alors de la solitude d'un sujet habité par "un collectif en soi" et dialogue avec cette altérité intériorisée. - Une solitude développementale : le sujet a pu se saisir d'espaces et de temps de recharge d'une capacité d'être seul au travail", protégé de la solitude souffrante par un environnement professionnel "suffisamment bon". Cette capacité d'être seul au travail autorise le sujet à se désirer seul. L'acte créatif peut exister au sein d'un espace transitionnel résistant dans des environnements professionnels pourtant fortement contraignants. - Une solitude désolante : c'est une expérience subjective souffrante de déliaison associée à un soutien social perçu carencé. Le sujet affronte un face-à-face solitaire et contraint avec lui-même. Cette forme de solitude est pathogène. C'est une expérience solipsistique propice au ressassement. Face à la montée de l'isolement, la solitude demeure donc une épreuve psychique risquée sur la scène du travail, qui inclut la population de cadres dirigeants. Ses différentes natures ne sont pas stables dans le temps : elles se succèdent, se chevauchent, ou se neutralisent à l'épreuve du réel.